Page:Bernhardt - Mémoires, ma double vie, 1907.djvu/334

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

peu vulgaire, avait de grandes chances contre moi. Elle était alors très liée d’amitié avec Paul Meurice, l’ami intime, le conseiller de Victor Hugo.

Un ami amena chez moi Auguste Vacquerie, l’autre ami, et même le parent, de l’Illustre Maître. Auguste Vacquerie promit de parler à Victor Hugo. Deux jours après, il revint me voir, m’affirmant que j’avais toutes les chances pour moi.

Paul Meurice lui-même, homme intègre, âme charmante, m’avait proposée à l’auteur.

Puis Gefîroy, l’artiste admirable retiré de la Comédie-Française, et appelé à jouer Don Salluste, avait dit, paraît-il, qu’il ne voyait qu’une petite reine d’Espagne digne de porter la couronne : moi.

Je ne connaissais pas Paul Meurice. Et j’étais un peu étonnée que ces gens me connussent.


La lecture fut annoncée pour le 6 décembre 1871, à deux heures, chez Victor Hugo. J’étais tellement gâtée, tellement adulée, encensée, que je me sentis blessée par ce sans-gêne d’un homme qui ne daignait pas se déranger, et invitait des femmes à venir chez lui, alors qu’il avait un terrain neutre : le théâtre, fait pour l’audition des pièces.

Je racontai ce fait inouï, à cinq heures, chez moi, devant ma petite cour ; et femmes et hommes se récrièrent : « Comment ? Ce châtié d’hier ! ce pardonné d’aujourd’hui ! ce rien du tout ! osait demander à la petite idole, à la reine des cœurs, à la fée des fées, de se déranger ? »

Tout mon petit cénacle était en émoi. Hommes et femmes ne tenaient pas en place. Elle n’ira pas ! « Écrivez-lui ceci… Écrivez-lui cela… »