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CE QUE DISAIT LA FLAMME…

qui s’abandonne à la colère, une jouissance coule discrètement, les baigne de plus en plus, les endort en son onde, en sa paix. Dans les artères de Gaspard, l’accalmie eut lieu. Il sentait le fauteuil arrondir sous lui des formes caressantes, lui décharger le corps de toute sa lourdeur, le cerveau de tout un encombrement. Ses deux bras, dont les muscles inexercés sombraient dans les gonflements de chair, reposaient flasques le long des hanches. La jambe droite, lâche, recourbée sur le genou gauche, dolemment balance. Tous les traits s’alanguissent de nonchalance et de béatitude : les yeux, surtout, flânant quelque part dans le vide, éteignent leurs rayons, s’enténèbrent de mollesse. Les lèvres, à demi béantes, laissent aller et venir une respiration douce comme l’air dont lentement les rideaux frémissent. Quelle félicité de vivre ainsi, l’estomac langoureux, l’intelligence silencieuse, la mémoire se cachant dans l’ombre, après les heures de tension, de calcul et de sueurs au front ! Quelle suavité d’être roulé par la nébuleuse de l’inconscient, de se donner sans réserve au mystère des puissances végétatives ! Il n’y a que le plus fugitif, le plus lointain de soi-même au monde, et c’est un vertige de bonheur au-dessus de l’immense…

Gaspard est donc au bord du sommeil. Les