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Page:Bernier - Ce que disait la flamme, 1913.djvu/273

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CE QUE DISAIT LA FLAMME…

devenait une de ces minutes graves où le soleil enveloppe d’une âme rose les cimes de nos Laurentides, la grâce de nos collines et les deux bras du fleuve autour de l’Île. Un rêve pareil était-il de la mièvrerie romanesque ? La sensation de vivre plus largement, plus merveilleusement, dès qu’il retrouvait le sourire et le profil de la jeune fille, naissait-elle de nerfs amollis par l’étude et que peu de choses troublait ? Pourquoi ce prolongement de choses indécises et tendres au meilleur de soi-même ? Le jeune médecin, gavé de notions autoritaires, réclamait d’elles une explication rassurante, cherchait une cause scientifique au désordre sentimental. Cette froide analyse ne l’obsédait plus, quand la présence de Lucile activait l’élan du mal. Son esprit ne raffinait plus, le cœur seul débordait par tout l’être.

Ou plutôt, selon Jean, le trouble ne dépassait jamais l’imagination. La parole qu’au hasard avait un soir jetée son ami, Paul Garneau, se fit quelquefois entendre : « Épouserais-tu l’enfant d’un ouvrier ? » disait-elle, nette et mordante. Pouvait-il se figurer, traînée par la vague du peuple, une jeune fille plus suave, plus digne, plus attrayante que Lucile ? Il se posait, lucide, l’interrogation vitale : « Pourrais-je aimer Lucile Bertrand au point de la choisir comme femme ? » et le même sourire toujours lui plis-