Page:Bernier - Ce que disait la flamme, 1913.djvu/378

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
367
CE QUE DISAIT LA FLAMME...

regret. Quand l’époux revint, ses yeux luisaient comme de l’huile épaisse, des sons gras tâtonnaient sur ses lèvres. Il eut la présence d’esprit nécessaire pour être convenable : « Je le regrette, ma chère », dit-il, « il s’agissait d’un ami. Tu comprends ?… un vieil ami avec qui j’ai eu des relations charmantes. Il est de la campagne où il s’ennuie à l’extrême. Nous avons arrosé sa neurasthénie… Eh ! bien, ma chère ? » « As-tu beaucoup d’anciens amis qui font de la neurasthénie à la campagne ? » se borna-t-elle à répondre, avec du sarcasme doucement voilé. Il en eut conscience et dit, : « Tu te moques de moi, je pense ! » « Mais non ! Ce n’est pas à cela que je songe », fit-elle, frémissante de peine. Il prit un accent goguenard, hâbleur : « À quoi donc ? À me gratifier d’une scène ? Si déjà tu commences à me harceler de… tirades, eh bien… » Une expression vulgaire avait jailli en son esprit : il aurait dit « criailleries » au lieu de tirades. Une intuition indécise le prévint qu’il serait cruel : il atténua le reproche. Mais Yvonne en ressentit le dard aussi vif. « Tu as bien fait, Lucien, tu es libre ! » s’exclama-t-elle aussitôt, refoulant la douleur atroce qu’elle devait porter seule.

Pendant quelques jours, elle se laissa écraser par une résignation étrange. Elle ne doutait plus de l’amertume qui s’apprêtait, qui la frap-