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JEAN-ARTHUR RIMBAUD

d’un caractère vif, bouillant, souvent en colère et ne voulant rien souffrir qui lui déplût.

Ma mère était bien différente : femme douce, calme, s’effrayant de peu de chose, et cependant tenant la maison dans un ordre parfait. Elle était si calme que mon père l’amusait comme une jeune demoiselle. J’étais le plus aimé. Mes frères étaient moins vaillants que moi et cependant plus grands. J’aimais peu l’étude, c’est-à-dire d’apprendre à lire, écrire et compter ; mais si c’était pour arranger une maison, cultiver un jardin, faire des commissions, à la bonne heure ! — je me plaisais à cela.

Je me rappelle qu’un jour mon père m’avait promis vingt sous, si je lui faisais bien une division ; je commençai, mais je ne pus finir. Ah combien de fois ne m’a-t-il pas promis des sous, des jouets, des friandises, même une fois cinq francs, si je pouvais lui lire quelque chose !

Malgré cela, mon père me mit en classe dès que j’eus dix ans.

« Pourquoi — me disais-je — apprendre du grec, du latin ? Je ne le sais. Enfin, on n’a pas besoin de cela ! Que m’importe à moi que je sois reçu ? À quoi cela sert-il d’être reçu ? À rien, n’est-ce pas ? Si, pourtant ; on dit qu’on n’a une place que lorsqu’on est reçu. Moi, je ne veux pas de place ; je serai rentier. Quand même on en voudrait une, pourquoi apprendre le latin ? Personne ne parle cette langue. Quelquefois j’en vois, du latin, sur les journaux ; mais, dieu merci, je ne serai pas journaliste.