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JEAN-ARTHUR RIMBAUD

née soumise à Lui. — L’autre peut me battre maintenant !

Et se poursuit la confidence, en laquelle, toujours par la bouche de la « vierge folle », « l’époux infernal », Rimbaud, fait de lui même, sans ménagements aucuns, un portrait dont la couleur hurle de chasteté et de spiritualité et où l’on voit que, sur le bord du gouffre de la chair, il n’a pas le vertige. Écoutons :

Je suis esclave de l’Époux infernal, celui qui a perdu les vierges folles. C’est bien ce démon-là. Ce n’est pas un spectre, ce n’est pas un fantôme. Mais moi qui ai perdu la sagesse, qui suis damnée et morte au monde, — on ne me tuera pas ! Comment vous le décrire ? Je ne sais même plus parler. Je suis en deuil, je pleure, j’ai peur. Un peu de fraîcheur, Seigneur, si vous voulez, si vous voulez bien !

Je suis veuve… — J’étais veuve. — Mais oui, j’ai été bien sérieuse jadis, et je ne suis pas née pour devenir squelette !… — Lui était presque un enfant… Ses délicatesses mystérieuses m’avaient séduite. J’ai oublié tout mon devoir humain pour le suivre. Quelle vie ! La vraie vie est absente. Nous ne sommes pas au monde. Je vais où il va, il le faut. Et souvent il s’emporte contre moi, moi, la pauvre âme. Le Démon ! — C’est un démon, vous savez,ce n’est pas un homme [1]

  1. Les mots en petites capitales sont ceux soulignés au texte par Rimbaud lui-même.