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Page:Berthet — La tour du télégraphe, 1870.pdf/10

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LA TOUR DU TÉLÉGRAPHE

ment installée ici, dans la plus délicieuse habitation du pays, sous un des plus beaux climats de la France ? N’avez-vous pas tout le bien-être, tout le luxe que vous pouvez désirer ? Aucune des satisfactions d’amour-propre auxquelles vous pouvez prétendre vous a-t-elle manqué ?

— C’est vrai, Hector ; je suis une ingrate peut-être, mais que voulez-vous ? Née à Paris, habituée aux mœurs, aux goûts, aux idées de Paris, je ne saurais me faire à cette insupportable vie de province. Aussi, dussiez-vous me battre, dussiez-vous me tuer, je ne peux que vous dire ce qui est : je m’ennuie mortellement.

— Je ne vous battrai pas, je ne vous tuerai pas, Fanny ; je vous prierai seulement de réfléchir un peu… Quels plai sirs trouveriez-vous à Paris que vous ne puissiez trouver de même à Bordeaux ? N’êtes-vous pas ici comme une reine… reine de la beauté, reine de la mode et du bon goût ? Aucune femme dans cette grande ville a-t-elle une plus belle voiture, un plus fringant attelage, des toilettes plus éblouissantes ? À Paris, au milieu d’un monde extra opulent, formé de toutes les aristocraties de l’Europe, vous seriez toujours écrasée par un luxe supérieur ; ici vous êtes incontestablement la première, la plus enviée des jolies femmes… On vous observe, on vous jalouse, on vous admire… Et n’est-ce pas ce que je vous avais promis en vous décidant à quitter votre cher Paris ? N’est-ce pas tout ce que vous avez pu désirer… à une autre époque ?

— Je vous entends, monsieur, répliqua la jeune femme en pinçant les lèvres ; vous voulez dire que la pauvre Fanny Grangeret, autrefois maîtresse de piano à trois francs le cachet, n’aurait jamais osé aspirer à la haute fortune de la soi-disant vicomtesse de Cransac ? Voyez pourtant combien l’espèce humaine est imparfaite et combien notre imagination, à nous autres femmes, est hardie dans ses aspirations… j’avais rêvé mieux.