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Page:Berthet — La tour du télégraphe, 1870.pdf/262

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LA TOUR DU TÉLÉGRAPHE

Eh bien ! l’ami, demanda Fleuriot d’un ton d’impatience, où donc êtes-vous allé aujourd’hui ? Pourquoi n’êtes-vous pas venu dîner, selon nos conventions ? Avez-vous vu Cran… je veux dire le Ponentais ?

— Bagasse ! si je l’ai vu ! répliqua le Marseillais en bâillant toujours ; à preuve que nous avons bu du fameux vin ensemble… Ah ! oui, fameux !… seulement il trouble le fanal, et il y a du brouillard dans la boussole.

En même temps il reposa sa tête sur la table et parút vouloir reprendre le sommeil interrompu ; mais Fleuriot se remit à le secouer vigoureusement.

Allons ! camarade, dit-il, nous avons à causer en semble… Je vous ferai servir tout ce que vous demanderez.

— Tonnerre ! laissez-moi la paix ! gronda le matelot en lançant un coup de poing dans le vide.

Et il s’installa pour dormir, le front appuyé sur les planches graisseuses.

Ce sommeil n’était pas naturel, et, selon toute apparence, on avait fait prendre au pauvre marin quelque drogue narcotique. Voyant l’inutilité de ses efforts pour décider Jacques Rouget à lui répondre, Fleuriot s’approcha d’une vieille servante, elle-même à moitié endormie dans un coin de la salle, et lui demanda :

— Avez-vous du café chaud ici ?

— Certainement, monsieur ; il y a toujours une cafetière sur le feu, parce que, vous savez, les hommes du port……

— Apportez-moi tout ce que vous avez de café, un grand bol et un flacon d’eau-de-vie.

La servante passa dans la cuisine et revint bientôt avec les objets demandés. Raymond emplit de café un bol qui pouvait contenir six tassés ordinaires, édulcora cette bois son avec du sucre, l’aromatisa avec une bonne dose d’eau de-vie ; puis se penchant vers Jacques Rouget, il lui cria dans les oreilles :

— Eh ! camarade, à votre santé !