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Page:Bertrand - D’Alembert, 1889.djvu/212

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effets pour vous n’ont été que trop cruels : or, vous en direz tout ce qu’il vous en plaira, mais la sensibilité extrême exclut la sécheresse. Ce vilain défaut n’est donc pas en vous l’ouvrage de la nature, mais, ce qui est affreux, l’ouvrage de l’art : à force d’être contrariée, choquée, blessée dans vos sentiments et dans vos goûts, vous vous êtes accoutumée à ne vous affecter de rien ; à force de réprimer les sentiments qui auraient pu faire votre malheur, vous avez amorti ceux qui auraient répandu la douceur dans votre âme ; ils restent comme endormis au fond de votre cœur, sans mouvement, sans activité, et vous avez préparé bien du mal à vos amis en vous mettant à l’abri de celui que vos ennemis cherchaient à vous faire ; en travaillant à vous rendre dure à vous-même, vous l’êtes devenue pour ceux qui vous aiment. Il est vrai — car le sentiment n’est point anéanti chez vous, il n’est qu’assoupi — que vous ne tardez pas à vous repentir des chagrins que votre sécheresse a causés, quand vous voyez que ces chagrins ont fait une impression profonde ; vous revenez alors à votre sensibilité ancienne ; un moment, un mot répare tout. Dans les autres, le premier mouvement est l’effet de la nature, le second est celui de la réflexion : chez vous c’est tout le contraire ; et tel est dans votre âme, d’ailleurs si estimable, le cruel et malheureux effet de l’habitude.

Ce qui prouve encore que cette sécheresse n’est point naturelle en vous, c’est un autre défaut que je vous ai reproché et qui est presque l’opposé de