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Page:Bertrand - Sanguis martyrum, 1918.djvu/180

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tout son être, comme si un grand vent, venu on ne sait d’où, passait sur lui et l’emportait :

« Être martyr ! témoin du Christ ! que ce serait beau !… N’est-ce pas, frère, que tu viendrais avec moi ?… Mourir ensemble, pour le Christ, les yeux levés vers la même couronne, quel triomphe !… »

Surpris par l’accent étrange de ces paroles, Cécilius regardait son compagnon. Le soldat chevauchait à quelques pas de lui, bercé doucement par l’amble de sa monture. Dans la pénombre crépusculaire, où se mouvaient les reflets d’or du couchant, ses yeux enivrés, ses lèvres rouges comme un fruit sous la moustache naissante, tout son visage brillait de jeunesse et de vie.

Cela indisposa Cécilius, déjà gêné par cette exaltation qu’il ne partageait pas… Soudain, il tressaillit, comme à une réminiscence. Victor disait :

« Et pourtant la vie est douce !… On assure qu’il n’y a de vie véritable qu’avec le Christ. Pourtant !… si, dès ici-bas, il était possible d’en pressentir quelque chose… Oh ! moi, je veux vivre ! J’aspire à je ne sais quelle grande joie, une joie que je ne goûterai peut-être jamais !… »

Ces discours paraissaient outrecuidants à Cécilius, en tout cas déclamatoires et vides de sens. Excédé de l’entretien, il interrompit assez rudement le soldat :

« En attendant, il faut servir : toi-même le reconnais ! Il faut faire comme le centurion de l’Écriture, qui commande à ses hommes et qui est commandé à son tour : « Va ! » et il va. On t’a dit d’aller à la Piscine : j’espère que tu nous y conduiras dans les délais prescrits… »

Au même moment, un dizenier auxiliaire s’approcha de l’option pour l’avertir qu’une rixe s’était élevée entre les hommes de l’avant-garde. Tous deux partirent au grand galop.

Leurs manteaux claquaient au vent. Cécilius, resté seul, méditait sur lui-même. L’ombre se rembrunissait. Les étoiles s’allumaient dans un ciel très clair, à la transparence unie et sans profondeur d’un miroir d’argent…