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Page:Bertrand - Sanguis martyrum, 1918.djvu/262

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des réfugiés. Puis il leur demanda la permission de les quitter un instant pour vaquer à ses affaires, mais surtout parce qu’il éprouvait un grand besoin de se recueillir.

Comme toujours, il se réfugia dans la bibliothèque, qui avait été son asile aux heures de mélancolie, de détresse et d’abandon. Il sentait que les événements se précipitaient, qu’il était inutile de détourner la tête : toute l’horreur annoncée par Cyprien était là, devant lui. Troublé par cette agitation du populaire qui venait le menacer jusque sous les murs de sa villa, encore frémissant des confidences et des exhortations de Jacques, il désirait mettre un peu d’ordre dans ses pensées, concerter sa conduite, en prévision d’une catastrophe, ne rien laisser au hasard.

Bientôt, il eut recouvré son calme habituel. La méditation l’avait apaisé. Il s’étonnait même de la tranquillité de son esprit. Déjà, à Carthage, le soir des funérailles de Cyprien, cette tranquillité l’avait surpris. Avec tous les fidèles portant des torches et des cierges, il était allé au Champ de Sextius chercher le corps du martyr, pour l’ensevelir, près des Piscines, dans la propriété du procurateur Macrobius Candidianus. Un moment, il avait contemplé, à la lueur des cires, la tête exsangue du supplicié, plus livide que la cire même des cierges, et qui paraissait plus morte que la mort, à cause du souvenir de l’extraordinaire vivant, dont le souffle palpitait tout à l’heure sur ces lèvres closes. Quel contraste avec le glorieux visage entrevu, le matin, sous les platanes de Sextius, — ce visage illuminé comme à l’approche d’une aube surnaturelle ! L’âme héroïque était trop cruellement absente de cette affreuse relique. Elle était partie emportant avec elle sa révélation, une révélation si soudaine, si terrassante, si victorieuse, que, dans la déroute des apparences, il avait vu surgir brusquement cette réalité unique, dont parlait Cyprien. Devant les yeux enivrés du martyr, il en avait perçu le reflet éblouissant. C’était