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Page:Bertrand - Sanguis martyrum, 1918.djvu/271

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dieux pour changer vos mœurs : le salut est à ce prix. Toutes les lois militaires ou somptuaires, tous les impôts du monde ne vous sauveront pas. D’ailleurs, la paix que vous nous faites est pire que la guerre. Est-ce que la tyrannie de vos fonctionnaires, de vos riches, de vos sectaires, n’est pas plus à craindre que toute la puissance des Barbares ? Vous vous plaignez de la stérilité et de la famine, comme si les exactions du fisc et les brigandages de vos soldats n’en étaient pas cause autant que la sécheresse ! Vous vous plaignez que la mer soit fermée, accapareurs qui fermez vos greniers aux pauvres ! Vous avez murmuré de la peste, et la peste a découvert ou accru vos crimes. Car on ne secourait point ceux qui en étaient atteints. On fuyait les moribonds. On pillait les morts. Timides pour les assister, on se montrait hardis pour les voler. Et maintenant on ne craint ni accuseurs, ni juges, parce qu’on est de connivence avec les uns et qu’on a corrompu les autres… »

Cécilius se laissait emporter par son indignation et ses rancunes. Il desservait la cause de celui qu’il voulait défendre et il se trahissait lui-même. Il s’en aperçut trop tard, en entendant les protestations et les clameurs furibondes de l’auditoire. Ses dernières paroles se perdirent dans le tumulte.

Pendant ce temps, Rufus délibérait à voix basse avec Roccius Félix et Julius Martialis. Il secouait la tête, l’air contrarié, hésitant à prendre un parti. Sans doute il s’agissait de raisons de poids, de considérations importantes qui ne pouvaient pas être exposées en public. Tout à coup, devant les huées excitées par les derniers mots de Cécilius, il frappa violemment sur l’appui de son siège, et, apostrophant l’orateur :

« Ce scandale a trop duré ! dit-il. Je t’ordonne de quitter les rostres !… Qu’on l’emmène ! »

Deux licteurs s’avancèrent, sur le geste menaçant du préfet qui désignait l’orateur. Puis, se retournant vers Marien, Rufus lui fit une dernière sommation :