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Page:Bertrand - Sanguis martyrum, 1918.djvu/324

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Tout était si calme autour de lui et du lamentable cortège !

Au bout de la plaine, sur un terrain en pente, un laboureur aiguillonnait un attelage de deux grands bœufs aux cornes démesurées et au pelage d’un gris blanc comme celui des vieux marbres. Les roues luisantes soulevaient des bandes de terre ocreuse, et, sur le fond rouge du plan incliné, le groupe se détachait comme un bas-relief sur la métope d’un temple. Partout, les gestes perdurables du labeur s’accomplissaient. Disséminés dans la campagne, des esclaves émondaient la vigne, taillaient les oliviers. Le maître inspectait les champs d’orge dont les tiges déjà hautes se veloutaient au soleil. Les vaches pâturaient dans les prés, tout éclatants de coquelicots, de boutons d’or, de trèfles, de sainfoins. Peu de monde se pressait sur la route où défilaient les confesseurs. Chacun était à son travail. Les paysans n’avaient pas l’air de se soucier d’eux… Puis, aux entours de la ville, la foule se fit tout à coup plus compacte. Les frères, très nombreux, se trouvaient là, confondus avec les païens. Quelques-uns, se glissant entre les jambes des chevaux, baisaient les chaînes des condamnés. Et ils agitaient des branches de lauriers, des mouchoirs, des bandelettes multicolores, en criant :

« Salut, frères !

– Vivez en Dieu !

– Portez-vous bien dans le Seigneur !

– Longue vie !… Vie éternelle aux témoins du Christ ! »

En contemplant les mineurs, ils éprouvaient une sorte d’effroi mêlé de pitié et d’admiration. La décrépitude, la misère physique de ces hommes étaient, en effet, effrayantes. Tous paraissaient n’avoir plus que le souffle. Et pourtant on ne savait quelle force intérieure les soutenait en vue de la gloire prochaine.

Ils traversèrent rapidement Lambèse, où la population était en majorité païenne. Aux environs du Capitole et du temple d’Esculape, des cris hostiles accueillirent les