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le débutant

Au dehors, au-dessus de la cabane, la fumée montait vers le firmament étoilé et attirait les hiboux qui, perchés sur les grands arbres d’alentour, faisaient entendre leur hou… hou… hou hou…, à intervalles réguliers. C’étaient les seuls bruits de la forêt dans la nuit claire et froide. Et pendant que l’oncle Batèche dormait dans un coin, affaissé par l’âge et les travaux de la journée, le jeune homme donnait libre cours à son imagination ardente, qui lui ouvrait différentes carrières où le succès, la gloire, les honneurs et l’amour l’attendaient pour le combler de joies rares et de félicités inexprimables. Il était aimé à la folie de la plus belle des princesses des contes de fées ; il devenait, tour à tour, un général intrépide, chéri de la Victoire ; un tribun irrésistible qui entraînait les foules ; un grand artiste modelant le sein ou arrondissant le ventre d’une Vérité ; un millionnaire semant l’or et les bienfaits sur ses pas.

Lentement, de jour en jour, la neige était disparue et le dégel complet du sol avait permis à l’herbe des champs de pointer peu à peu, en même temps que fleurissaient les pâquerettes hâtives des bois. Les sucres allaient finir, on songeait à dégrayer, lorsque l’oncle Batèche reçut une lettre du député Vaillant lui annonçant, qu’on compagnie de son fils Jacques et de quelques amis de la ville, il viendrait passer le dimanche suivant à la cabane. Le bonhomme fut ravi de la nouvelle. Jusqu’au dimanche, il ne cessa de faire l’éloge de ce bon député, pas fier, pareil comme moé pi toé, qui n’oubliait jamais ses fidèles partisans. Pour des raisons différentes, son neveu n’était pas moins content de la visite annoncée. Il allait revoir son meilleur camarade de collège de Saint-Innocent, celui qui lui apportait des livres défendus qu’on lisait en cachette. Il ne se doutait pas, cepen-

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