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Page:Bessette - Le débutant, 1914.djvu/44

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le débutant

nu de restaurant à quinze sous, et porter un costume aussi peu confortable pour la saison ; mais il pensait à autre chose. Il était avide de se renseigner sur la vie du journaliste. Il demanda au reporter de L’Éteignoir :

— Ainsi, vous êtes satisfait de votre état ?

— Enchanté ! C’est le mot.

— Tous vos confrères ne pensent pas comme vous.

— Vous voulez parler de ceux qui posent aux savants, qui se préoccupent des questions sociales ou font de la littérature. Ce sont des imbéciles. De la littérature, il n’en faut pas dans le journalisme, pas de science non plus, mais de la politique quand ça paye, et des histoires à sensation, surtout. Avec mon compte-rendu de l’affaire Poirot, par exemple, dont je suis le seul à posséder tous les détails, L’Éteignoir va encore augmenter son tirage, ce qui veut dire en même temps augmentation de la valeur de sa publicité. Plus un journal a de circulation, plus élevé est le prix de l’annonce qui est la véritable source de revenus. Et ce n’est pas avec de beaux articles que la populace ne lit guère qu’on arrive à ce résultat. Ce que les milliers d’abrutis qui s’abonnent aux journaux aiment, c’est qu’on leur apprenne les scandales, les crimes, les accidents du jour. Les faits-divers les plus stupides ne sont pas à dédaigner. Ce qui prend aussi, ce sont les portraits de curés, de policemen, de pompiers, de vénérables jubilaires, de marguilliers, de conseillers municipaux, enfin de l’homme qui a vu l’homme, qui a vu l’ours. Le journaliste assez malin pour tirer parti de tout cela se rend indispensable, on se dispute ses services et il en profite pour se faire payer un fort salaire. Je suis sûr que le Populiste va de nouveau essayer de m’attacher à sa rédaction après le succès de mon compte-rendu de ce soir sur le crime dont je

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