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Page:Bibliothèque de l’École des chartes - 1895 - tome 56.djvu/189

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constater la première rédaction des règlements des plus archaïques de ces groupements industriels ou commerciaux. Vers la fin du XVIe siècle et au commencement du XVIIe, où les documents précis commencent à se faire moins rares, on peut songer à dresser des états de statistique. Un intéressant tableau, scrupuleusement composé par l’auteur, indique pour le pontificat de Grégoire XV, en 1622, les résultats suivants : 5,578 boutiques et 6,609 patrons, employant 17,584 ouvriers ou apprentis.

Cette faible proportion d’employeurs à employés, comme on serait amené à dire de nos jours, n’est pas un des résultats les moins concluants de cette étude. Elle n’est particulière ni à Rome ni à l’Italie, et il ne faudrait certes pas la prendre pour une révélation. L’équation n’en projette pas avec moins de force un nouveau rayon de vue sur les conditions du travail d’autrefois : salariat et patronat confondus, main-d’œuvre et direction fusionnées, avec les avantages et les inconvénients, le patriarcal caractère, mais aussi l’étroitesse de conception du système. Involontairement reviennent à la mémoire, devant ce simple chiffre, les pages classiques dans lesquelles Herbert Spencer, dégageant les lois de l’évolution des sociétés, a gravé de quelques traits si sûrs le tableau de l’industrialisme en enfance. « Différant d’eux seulement en ce qu’il était le chef de la maison, le maître travaillait avec ses apprentis et un ou deux aides, partageant avec eux sa table et son logement, et vendant lui-même l’ensemble de leurs produits[1]. » — La formule du monde a changé depuis. Faut-il, ou non, regretter la disparition de « ces petits groupes producteurs primitifs, à moitié socialistes,… lentement dissous parce qu’ils ne pouvaient se maintenir[2] ? » La question dépasserait singulièrement notre cadre. Qu’il suffise de noter que l’enquête de M. Rodocanachi apporte à la discussion du problème des éléments neufs et certains, que plus d’un philosophe et plus d’un économiste s’estimera heureux de voir ainsi coordonnés.

Le grand écueil de ces corporations romaines, réduites à ce petit nombre d’associés participants, fut toujours une tendance fatale au monopole, à la transformation en castes recrutées parmi les seuls héritiers des patrons. Là en effet, comme partout, tandis qu’au moyen âge la qualité d’ouvrier ou de marchand justifiait l’admission dans la corporation, l’esprit des siècles plus modernes rendit peu à peu l’accès du groupe accessible seulement à quelques privilégiés. Tendance que révèle suffisamment l’étude des transformations statutaires d’une même corporation ayant pu traverser plusieurs siècles, ou bien l’examen des règlements de corporations diverses rédigés à des dates différentes. L’élévation progressive des droits d’entrée, l’imposition des examens de capacité, une enquête, qui paraît avoir été aussi arbitraire, concernant

  1. From Freedom to Bondage, Intr.
  2. Ibid., id.