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Page:Binet - La Vie de P. de Ronsard, éd. Laumonier, 1910.djvu/98

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DISCOURS DE LA VIE

Estonnez du murmure, et du jargon des vers :
Et plus [1] ils sont bouffis, plus courent de travers,
Et plus ils sont crevez de sens et de paroles,
Plus ils sont admirez des troupes qui sont foles.
Tels farouches esprits ont un coup de marteau
Engravé de naissance au milieu du cerveau,
Empeschant de prevoir de quel saint artifice
On appaise les Seurs pour leur faire service.
Qui demandent des fleurs, et non pas des chardons,
Non des coups de canons, ains des petits fredons.
Je les ay veu souvent courir parmi les ruës
Servir de passetemps à noz troupes menuës [2], | [29]
De ris et de joüet, ou bien sus [3] un fumier
Ils meurent à la fin, leur tombeau coustumier,
Et [4] jureurs et vanteurs meurent à la taverne,
Comme gens débauchez que la Lune gouverne *.


Il disoit ordinairement que tous ne devoient temerairement se meler de la Poësie : que[5] la prose estoit le langage des hommes, mais la Poësie estoit le langage des Dieux[6] * : et que les hommes n’en devoient estre les interpretes, s’ils n’estoient sacrez des leur naissance, et dediez à ce ministere[7] *.

Les Satyres qu’il avoit faites, et qu’il eust publiées, si nostre siecle eust esté plus paisible, ne taxoient personne qui ne l’eust merité, et c’estoit bien une de ses envies de peindre au vif les vices de nostre temps, pour corriger les uns, et espouvanter les autres de mal faire *. Il m’en a monstré quelques unes meslées à l’Horatienne *, mais je croy qu’elles seront perdues[8], d’autant que m’ayant recommandé et laissé ses œuvres corrigées de sa derniere main, pour y tenir l’ordre en l’impression, suivant ses memoires et advis, et

  1. C Tant plus (même var. au vers suivant)
  2. AB menues
  3. C sur
  4. C ou
  5. AC Poësie, que
  6. 1623 supprime la prose estoit le langage des hommes, mais
  7. BC à ce ministere. Il estoit ennemy mortel des Versificateurs [C des versificateurs dont les conceptions sont toutes ravalées], qui pensent avoir faict un grand chef d’œuvre, quand ils ont mis de la Prose en vers *. Car comme Michel-ange, [C Michel-Ange], peintre et sculpteur tres-excellent, diroit [C disoit] pour un secret en son art, que la parfaite peinture doit approcher de la sculpture, et la representer autant que l’art le permet, et au contraire que la sculpture doit du tout s’eloigner de la plate peinture : ainsi la prose peut bien exprimer les ornemens de Poësie, et les vestir modestement. Mais la Poësie doit estre toute relevée en bosses et fleurs apparoissantes, et fuyr du tout le stile plat et prosaïque, comme son contraire *. (Vient ensuite l’alinéa Les premiers Poëtes... V. ci-après, p. 43.)
  8. C qu’elles sont fort esgarées