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LÉON TOLSTOÏ

sombre des jardins fruitiers, Montreux se profilait nettement avec sa gracieuse église accrochée à la pente. On voyait Villeneuve au bord même, avec ses toits de fer brillant au soleil ; la profonde et mystérieuse vallée avec des montagnes entassées les unes sur les autres ; le blanc et froid Chillon, sur l’eau même et la petite île chantée qui se dresse joliment en face de Villeneuve. Le lac frissonne à peine. Le soleil frappe perpendiculairement sa surface bleue, et les voiles déployées semblent immobiles…

« Chose étonnante ! J’ai vécu deux mois à Clarens, mais chaque fois que le matin ou plutôt le soir, avant le dîner, j’ai ouvert les vitres de la fenêtre sur laquelle tombait l’ombre, et regardé le lac où se reflétaient les lointaines montagnes bleues, la beauté du paysage m’aveuglait et me saisissait avec une force inattendue.

« Aussitôt je voulais aimer, je sentais même en moi l’amour de moi-même ; je regrettais le passé ; j’espérais en l’avenir. J’étais heureux de vivre, je voulais vivre longtemps, longtemps, et l’idée de la mort se revêtait d’une horreur enfantine, poétique. Parfois même, assis seul dans le jardin ombreux, contemplant ces rives et ce lac j’éprouvais une sorte d’impression physique, comme si la beauté, à travers mes yeux, pénétrait dans mon âme. »

Ensuite, il va dans la montagne.

… « Au-dessus de nous chantent des oiseaux des bois qu’on n’entend pas au bord du lac. Il y a l’o-