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Page:Blanc - Histoire de dix ans, tome 2.djvu/19

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La Russie touchait donc au but de son ambition, qui était grande, car elle ne se bornait pas à la conquête de la Turquie. Faire de la mer Noire un lac intérieur, tenir en échec dans la Méditerranée les flottes de l’Angleterre et de la France, dominer l’Adriatique, ranger sous sa dépendance l’Égypte, la Grèce et les îles, se frayer enfin une route jusqu’aux possessions anglaises de l’Inde, voilà le plan gigantesque que la Russie avait tracé ; et, pour le réaliser, qu’avait-elle à faire ? Occuper le détroit des Dardanelles.

D’ailleurs, la possession du Bosphore lui était indispensable pour compléter son système de défense. Protégée, au Nord, contre ses ennemis, par la longueur des chemins, les neiges et le désert, elle n’avait qu’un point vulnérable, au Midi. Or, pour toucher à ce point, placé au centre de ses possessions, ne fallait-il pas traverser le détroit des Dardanelles ? Que ce détroit lui appartînt c’en était assez pour qu’elle fut inattaquable. Présente partout, et partout inaccessible, elle pressait alors de toutes parts l’Europe occidentale, sans pouvoir être elle-même directement menacée ou atteinte. L’occupation du Bosphore, pour elle, c’était l’empire du monde.

Aussi n’avait-elle cessé, depuis soixante ans, de fixer ses regards sur ce point de la carte. Conduite sur les bords de la mer Noire, en 1774, par le traité de Kaïnardji ; mise en possession du Kouban et de la Crimée, en 1774, par le traité de Constantinople ; maîtresse, en 1812, par la paix de Buckarest, des rives du Pruth et de la Bessarabie, elle venait de couronner, par le traité d’Andrinople, toutes ses