Aller au contenu

Page:Blanc - Histoire de dix ans, tome 4.djvu/357

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tiens de leur famille, pensaient, du fond de leurs cachots, à un vieux père malade, à une femme exténuée de travail et de veilles, à de pauvres enfants privés de pain ! Il faut que nous citions ici une lettre qu’écrivait à M. Pasquier, en septembre 1834, un malheureux ouvrier nommé Durdan. Elle est digne assurément d’avoir une place dans l’histoire ; car c’est un chef-d’œuvre d’éloquence vraie et d’indignation contenue :


« Monsieur le baron, depuis six semaines, je vous ai écrit deux lettres auxquelles vous n’avez pas répondu. Il y a cinq mois que je suis en prison, comme prévenu de complot ; je n’ai pas besoin de vous dire qu’il n’y a pas de charge contre moi : vous le savez bien. Avant mon arrestation, ma femme et mes enfants vivaient de mon travail. Depuis que je suis en prison, ils manquent de tout. Ils sont tombés rapidement dans la misère la plus profonde, parce que mes économies sont bien peu de chose, parce que la femme d’un ouvrier, qui a trois enfants à soigner, ne peut pas gagner même du pain. Mais tout cela ne regarde pas la Cour des pairs et la touche peu. Je le savais bien et j’attendais sans me plaindre. Il y a six semaines, deux de mes enfants furent attaqués de la petite vérole. Ma femme, épuisée par les privations et les fatigues, fût bientôt hors d’état de les soigner, et tomba malade auprès d’eux. Plongés dans le dénuement le plus affreux, ils n’avaient pas un seul appui. Je vous écrivis alors. Je vous demandai à sortir une demi-journée pour leur assurer quelques ressources, pour leur trouver au moins un protecteur parmi mes amis… Vous ne me répondîtes même pas. Que pouvaient vous faire à vous, M. le baron, le désespoir d’un ouvrier, la misère et la ruine de sa famille Est-ce que ces gens-là doivent avoir des affections, des familles ? Le 27 juillet, mon fils mourut ; et la malheureuse mère, sans secours, sans conseils, ignorant les formalités à remplir, fut trois jours sans pouvoir le faire enterrer. Je restai une semaine sans recevoir de nouvelles, et ma position devint intolérable quand je sus a que les menus objets du ménage avaient été vendus à mesure des besoins. Je vous écrivis de nouveau. Je vous demandais en-