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Page:Blanc - Histoire de dix ans, tome 5.djvu/438

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De part et d’autre la passion était immense, l’orgueil égal.

Seulement, Méhémet-Ali dissimulait. Devant les envoyés du sultan, son langage était celui d’un vassal. Avec quelle ardeur, si Alexandrie ne l’eût retenu invinciblement, il serait allé à Constantinople se prosterner devant son auguste maître ! avec quelle joie il aurait porté à ses lèvres le bord du manteau impérial ! Mais sous cette affectation de respect le vice-roi d’Egypte ne faisait que cacher son ambition et les secrets de sa haine. Vieillard septuagénaire, il entendait que son œuvre lui survécût dans ses enfants. Ce qu’il désirait, d’ailleurs, il se sentait assez fort pour le prendre. Un signe de lui… et ses vaisseaux partaient du port d’Alexandrie, tandis qu’Ibrahim franchissait le Taurus. Mais l’Europe l’arrêtait, l’Europe pesait sur lui. Déjà, en 1834, il avait osé dire à la France, à l’Angleterre et à l’Autriche : « La Russie possède à demi l’empire ottoman ; sous prétexte de le protéger, elle le couvre, et en le couvrant elle l’opprime. Qu’on la laisse mener à fin l’asservissement de Constantinople, et c’en est fait de la liberté universelle : la Russie devient un colosse qui, debout entre la mer Noire et la Méditerranée, fera pencher l’univers à droite, à gauche, selon sa fantaisie. Le permettrez-vous ? Eh bien, moi Turc, je vous propose, à vous, gardiens de la civilisation en péril, une croisade qui sauvera l’empire ottoman et l’Europe. Je leverai l’étendard, je mettrai à votre disposition mon armée, ma flotte, mon trésor, je serai l’avant-garde. Et, pour prix de mon dévouement, je ne demande