Aller au contenu

Page:Boccace - Décaméron.djvu/222

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

point envoyé de chandelle, et qu’il m’a fallu manger dans l’obscurité. — » Le moine dit : « — Elle en avait bien apporté, mais on les a brûlées pour les messes. — » « — Oh ! — dit Ferondo — tu dis vrai ; et pour sûr, si j’y retourne, je la laisserai faire ce qu’elle voudra. Mais dis-moi, qui es-tu, toi qui me fais cela ? — » Le moine dit : « — Je suis mort, moi aussi, et je fus de Sardaigne, et parce que j’ai jadis loué beaucoup un mien seigneur d’avoir été jaloux, j’ai été condamné par Dieu à cette peine de te donner à manger et à boire et de te battre ainsi, jusqu’à ce que Dieu en décidera autrement de toi et de moi. — » Ferondo dit : « — N’y a-t-il personne autre que nous deux ? — » Le moine dit : « — Si ; il y en a des milliers, mais tu ne peux ni les voir ni les entendre, de même qu’eux ne le peuvent pas pour toi. — » Ferondo dit alors : « — Et sommes-nous bien loin de notre pays ? — » « — Oh ! — dit le moine — un nombre infini de milliers de lieues. — » « — Diable, c’est beaucoup — dit Ferondo — et pour ce qu’il me semble, nous devrions être hors du monde, tant il y en a. — »

« Or, au milieu de semblables discours, Ferondo fut tenu dix mois, mangeant et battu, pendant lesquels l’abbé rendit très souvent visite à la belle dame, et se donna avec elle le meilleur temps du monde. Mais comme arrivent les mésaventures, la dame devint grosse, et s’en étant vite aperçue elle le dit à l’abbé ; pour quoi il leur parut à tous deux temps de rappeler sans retard Ferondo du purgatoire à la vie, afin qu’il revînt à sa femme et qu’elle pût se dire grosse de lui. La nuit suivante donc, l’abbé fit avec une voix contrefaite appeler Ferondo dans sa prison, et lui fit dire : « Ferondo console-toi, car il plaît à Dieu que tu retournes au monde ; et y étant retourné, tu auras de ta femme un fils que tu nommeras Benedetto, pour ce qu’il t’a fait cette grâce par les prières de ton saint abbé et de ta femme, et pour l’amour de saint Benoît. — » Ferondo, entendant cela, fut très joyeux et dit : « — Cela me plaît, Dieu lui donne le bon an à messire le bon Dieu, à l’abbé, à saint Benoît et à ma femme aimable, douce, suave. — » L’abbé lui ayant fait donner, dans le vin qu’il lui envoyait, de la poudre en quantité suffisante pour le faire dormir pendant quatre heures, on lui remit ses habits, et aidé du moine, il le porta secrètement de son caveau dans le cercueil où il avait été enseveli. Le matin, sur le point du jour, Ferondo reprit ses sens, et vit un peu de jour par une fente du cercueil, ce qu’il n’avait pas vu depuis dix bons mois ; pour quoi lui paraissant être en vie, il commença à crier : « — Ouvrez-moi, ouvrez-moi ! — « Et lui-même il se mit à heurter si fort de la tête contre le couvercle du cercueil, qu’il commençait à le briser, pour ce qu’il était mal joint, quand les