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Page:Boissonnas, Une famille pendant la guerre, 1873.djvu/130

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UNE FAMILLE PENDANT LA GUERRE.

Prussiens, comme on finit par les appeler, quoique les deux termes hurlent de se trouver ensemble, nos Prussiens s’en étaient emparés, et force avait été de changer les plans des petits que le seul espoir de trouver des hérissons dans le saut de loup avait pu consoler. Robert commençait à descendre dans le fossé, tandis que Marguerite et moi fouillions, à la recherche des hérissons, un énorme tas de feuilles mortes retirées des allées :

« Il n’y en a pas, » disait Marguerite découragée.

Au même instant, le sommet du tas de feuilles parut chanceler : un bras, des jambes apparurent. Marguerite se jeta en criant contre maman ; à dire vrai, j’avais très-peur. Il ne s’agissait pourtant que d’un pauvre être nullement menaçant, maigre, vêtu de haillons et bleu à force d’être pâle, comme nous nous en aperçûmes quand le visage appartenant aux membres se fut débarrassé des feuilles.

« Ayez pitié de moi, je me sauve, je meurs de faim, » nous dit ce malheureux, et il ajouta :

« Y a-t-il des Prussiens par ici ?

« Il y en a, répondit maman, est-ce eux que vous craignez ?

« J’étais leur charretier, ils m’ont pris avec mes deux chevaux en passant dans mon pays. Il y a dix-sept jours que je roule avec eux ; je ne peux pas dire la misère que j’ai endurée ; maintenant je me sauve, mais je n’ai rien mangé qu’un morceau de