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Page:Boissonnas, Une famille pendant la guerre, 1873.djvu/18

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UNE FAMILLE PENDANT LA GUERRE.

Il alla se placer contre la fenêtre et attendit. Je vis combien sa figure était inquiète et lui offris d’aller demander si c’était bien François. Mon père fit un geste négatif sans rien dire et attendit encore. Quelques minutes passèrent ; enfin, n’y tenant plus, il ouvrit la porte pour s’informer lui-même. Nous aperçûmes derrière cette porte une figure si bouleversée, si navrée, si confuse, dirai-je, que j’en poussai un cri :

« François ! qu’y a-t-il donc ?… »

Brave François ! papa l’avait envoyé à S. pour voir si quelque dépêche n’avait pas été affichée à la mairie, et il ne pouvait se résoudre à entrer et à dire ce qu’il savait. Le vieux soldat se révoltait en lui, comme le jeune soldat, mon pauvre frère, a dû se révolter en toi quand tu as appris ce qui s’appellera maintenant et pour toujours Sedan ! c’est-à-dire le plus grand désastre de notre histoire, la ruine soudaine, incompréhensible ; quelque chose d’effrayant au fond duquel on redoute de trouver la honte !

Quatre-vingt mille hommes, l’empereur, l’armée, tout ce qui pouvait se rendre s’est donc rendu ! François semblait abruti, nos questions lui ont arraché la vérité lambeau par lambeau. Il apportait un journal et une dépêche qu’il avait copiée à la mairie. Mon père a voulu la lire lui-même tout haut ; dès la seconde phrase, l’émotion de sa voix nous a gagnés ; maman essayait vainement de comprimer ses san-