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Page:Boissonnas, Une famille pendant la guerre, 1873.djvu/182

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UNE FAMILLE PENDANT LA GUERRE.

Elle la fit asseoir auprès, sur une chaise, et la quitta, car trois voitures chargées de blessés du combat nocturne d’Origny arrivaient, et il fallait caser tout ce monde. La pauvre femme s’affaissa sur sa chaise et, cachant son visage, pleura et gémit longtemps tout haut. Peu à peu elle nous dit ce que je viens de vous abréger, et qu’enfin elle avait tant supplié le père qu’il l’avait laissée partir — trop tard — le 7 seulement. Avec la désorganisation actuelle de tous les moyens de transports, il lui avait fallu quatre jours pour arriver. Elle nous conta le premier deuil du fils tué à Gravelotte, et comment le père et elle étaient convenus de ne pas se plaindre du bon Dieu tant qu’il leur laisserait cet aîné. Pour cet aîné, trois mois avant la guerre, ils avaient loué une nouvelle ferme ; au moment où il allait se marier et s’y établir, il avait été rappelé comme ancien soldat. Elle nous dit le chagrin qu’il s’en était fait, toutes les misères qu’il avait endurées sans seulement voir l’ennemi, et comment c’était bien sûr l’usement, disait-elle, du souci et des privations qui avait miné son garçon, un si fort ouvrier pourtant ! Et les sanglots de recommencer.

Nous avons essayé de consoler la pauvre femme, et quand on a apporté sur le lit de son fils un malheureux petit mobile bon à amputer, elle est partie pour recommencer son voyage solitaire et dire elle-