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Page:Boissonnas, Une famille pendant la guerre, 1873.djvu/235

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UNE FAMILLE PENDANT LA GUERRE.

à vrai dire, qu’une illusion de nourriture. Cela est affreux à voir et touchant aussi, car de ces foules misérables il ne s’est pas encore échappé un murmure. Au contraire, — moi qui ne reprends pas courage, il me faut te l’avouer, ma pauvre amie, — j’ai recueilli tout à l’heure de l’une de ces femmes un mot que je me répéterai souvent, car il vaut un exemple.

Je passais rue Tronchet, auprès de la boucherie Duval. La queue des ménagères s’étendait plus loin que le no  29, le jour paraissait à peine, la neige fondait en tombant, aucun bruit de voiture ne se mêlait au son lointain du canon ; j’entendis qu’on parlait dans cette foule (depuis combien de temps était-elle là ? je n’ose y penser) de la perte d’Orléans et de la défaite de l’armée, mais c’était avec un grand calme qui me surprit.

« Ça ne nous avance pas, tout de même, pour la délivrance, disait une voix. Qu’est-ce qui nous reste à c’t’heure ? Le compte en sera vite fait.

— Il nous reste la patience, » répondit une voisine.

Je ne pus m’empêcher de m’arrêter un instant pour savoir qui avait dit cela. C’était une femme que j’avais frôlée en passant, petite, voûtée avant l’âge et qui tenait serré contre elle un enfant encore vigoureux qu’elle tâchait de garantir de la neige que le vent chassait sur lui. Elle était violette de froid, et son jupon flasque semblait mouillé jusqu’à hauteur des genoux. « Il nous reste la patience ! » Que Dieu