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Page:Boissonnas, Une famille pendant la guerre, 1873.djvu/281

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UNE FAMILLE PENDANT LA GUERRE.

plus dures et des prédictions les plus sinistres. Ce n’est pas vous qui me gronderiez si fort, ma chère maman, d’autant plus que je suis encore privilégié malgré tout : il m’a rapporté des chaussures taillées sur un modèle gigantesque, mais qui ne m’en permettent pas moins d’avoir quelquefois les pieds secs.

Pauvre brave Barbier ! jamais je n’oublierai ce qu’il endure en ce moment pour moi. J’espère qu’il sent, que, malgré mes résistances, ce n’est pas de la souffrance perdue que la sienne. Hier, comme j’entrais à Soulgé-le-Bruant, à jeun depuis la veille, transi de froid, réellement épuisé, je le trouvai tout à coup sur mon chemin. Je ne savais plus trop où j’en étais et je n’aurais pu lui rien demander ; il vit d’un coup d’œil ce qu’il me fallait et me mit sa gourde aux lèvres. Je bus quelque chose de délicieux qui me donnait, en passant par le gosier, cette sensation du chaud que j’avais presque oubliée. Puis il me coucha sur la paille dans la halle qu’on nous avait assignée, il me couvrit de son propre manteau et se tint longtemps près de moi pour qu’on ne me réveillât pas. Aussi ce matin j’étais ressuscité. J’ai voulu revenir à sa gourde ; cette délicieuse boisson ne m’a plus paru que ce qu’elle était réellement, une affreuse eau-de-vie bonne à faire des frictions.

J’espère que nous resterons ici. Le pays me semble bien disposé pour la défense telle que nous la pouvons pratiquer. On dit la ligne de la Mayenne très--