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Page:Boissonnas, Une famille pendant la guerre, 1873.djvu/315

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UNE FAMILLE PENDANT LA GUERRE.

cachait de notre côté la glace sans tain ; les voix, les rires, les mouvements de meubles remplirent l’air en un instant

— « Ils veulent peut-être nous vexer, me dit Adolphe à voix basse. »

Le piano fit entendre une valse entraînante ; un cliquetis de tasses l’interrompit, c’était le café.

Nous nous étions assis dans l’ombre, l’un près de l’autre et nous tenant la main. Comme nous nous plaignions mutuellement ! Comme je pensais que je devais aimer mon pauvre mari pour ce qu’il supportait ! Ma main tressaillit dans celle d’Adolphe.

« Qu’est-ce ? » demanda-t-il.

— Une tasse par terre, dis-je. Cela ne fait rien, mais ils vont peut-être s’amuser à cela. »

En effet, une autre se brisa, puis une autre encore. Je crus distinguer le son de la voix du major plaidant doucement. — Un patatras éclatant lui répondit, ce devait être tout le plateau qui tombait. — Adolphe me serra la main à me faire mal, puis il poussa doucement les verrous des portes de communication. Le fait est qu’au train dont allaient ces messieurs, ils pouvaient s’aviser de nous venir insulter nous-mêmes. Bientôt des voix, sinon belles, du moins exercées, se firent entendre ; je ne pouvais distinguer les paroles qu’elles chantaient, c’était sans doute des hymnes guerriers. Puis un demi-silence, et quelqu’un attaqua l’air de la Marseillaise.