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Page:Boissonnas, Une famille pendant la guerre, 1873.djvu/40

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UNE FAMILLE PENDANT LA GUERRE.

« Courage ! dis-je à voix basse, allons trouver maman, ce sont les Prussiens ! »

Nous passâmes rapidement devant ces gens, qui ne bougèrent pas.

« Où est maman ? demandai-je à la cuisine.

— Madame est dans la cour, ah ! mamselle Berthe ! »

Je ne voulais que maman, tenant toujours mes deux petits, sages et silencieux, je courus, je m’aperçus à peine que la cour était pleine de chevaux et d’hommes en uniformes rouges, je ne vis bien que maman, et François derrière elle. Elle parlait avec calme, mais d’un ton froid et presque hautain que je ne lui connaissais pas. J’allais me jeter à son cou, son regard m’arrêta et je passai seulement mon bras sous le sien.

Un fourrier lui expliquait qu’elle allait avoir à loger dix-huit hommes et quinze chevaux pendant vingt-quatre heures, un autre écrivait quelque chose à la craie sur la porte extérieure, le gros de la troupe attendait qu’on eut fini chez nous pour pousser plus loin. Quelques hommes ouvraient les portes et regardaient curieusement partout. Le bruit d’un galop effaré a dominé celui des voix, c’étaient le poney et le cheval de jardin qu’on chassait de l’écurie ; les chevaux prussiens prenaient leur place. François n’a pu retenir une exclamation que je n’ai pas à qualifier et il a conduit nos pauvres bêtes dans la petite grange ; ce que c’est que d’être des chevaux de vaincus !