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Page:Boissonnas, Une famille pendant la guerre, 1873.djvu/58

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UNE FAMILLE PENDANT LA GUERRE.

moitié de l’armée, ignorant le changement des dispositions, continuait à vouloir s’en éloigner, et sur cette masse confuse à laquelle la défense était impossible, les obus prussiens tombaient à courts intervalles, laissant chaque fois un trou sanglant.

Tard dans la soirée, on se résigna à camper sur place, et le premier bruit d’une capitulation courut dans les rangs. Malgré tout, et quoique la rage de ne pas rendre coup pour coup les poussât au désespoir, ce fut l’indignation seule qui s’éleva de ce troupeau de braves ainsi livrés. L’ordre de cesser le feu, ordre dérisoire puisqu’ils ne pouvaient tirer, leur arriva ; — c’était trop vrai…

Chère maman, je vous répète cela bien mal, mais si vous pouviez entendre et voir ce pauvre capitaine Herbauld, vous comprendriez bien autrement à quel point ce devait être affreux.

Leur colonel rassembla, pour leur lire l’ordre, ceux des officiers qui restaient debout. Autour d’eux les soldats brisaient leurs fusils ou se couchaient par terre. Le canon avait cessé pour la première fois depuis trois jours, mais les imprécations et les gémissements formaient une clameur assourdissante. Quelques-uns criaient : « Il faut faire une trouée !… » Le colonel montra de son épée la mêlée confuse des nôtres, et plus loin, sur les collines, les feux prussiens qui s’allumaient de tous côtés : « Comment ? » — demanda-t-il. — Cela rendit chacun muet, et pendant deux