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Page:Bonafon - Les Confidences d une jolie femme.djvu/52

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cruellement tourmentée qu’il n’eſt poſſible d’imaginer. Le Comte arrivoit à l’heure des repas ; mais rêveur, inquiet, il ne parloit point, évitoit juſqu’à mes regards, & diſparoiſſoit en ſortant de table.

Mademoiſelle de Villeprez, que je continuois de voir politiquement, ajoutoit l’ennui à mes autres peines : elle avoit repris ſes grands airs, ne me tenoit plus que des propos étudiés, énigmatiques ; & du Comte, pas un mot.

Je perdois patience ; j’étois prête à faire une folie, en demandant de rentrer au Couvent, lorſque la fuſée ſe débrouilla. Un matin je remontois de chez ma mere, à l’inſtant où le Comte ſortoit de la Bibliotheque, peu diſtante de mon appartement. Il paroiſſoit diſtrait, occupé, & le livre qu’il tenoit ouvert, étoit penché de façon que ſes yeux, quoique baiſſés, ne pouvoient pas tomber deſſus. A ma vue, il recula… Je m’arrêtai… Nous nous regardâmes en ſilence ; mais que ce ſilence étoit expreſſif ! Agitée d’un trouble ſubit, je ſentis la néceſſité de fuir, & fis un mouvement pour entrer chez moi… Rozane me prévint, ſe jetta à mes pieds, baiſa une de mes mains avec un air de tranſport & d’égarement… Arrêtez, dis-je, Comte, arrêtez !… Mon Dieu ! que faites-vous ? Je n’en fais rien,