Page:Bonaparte - Œuvres littéraires, tome 1, 1888.djvu/22

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cier d’artillerie de Toulon, le général d’Arcole, de Rivoli et des Pyramides, le consul du Concordat, de la Légion d’Honneur, l’empereur d’une France de 130 départements et d’un Code civil qui, malgré quelques défauts, n’en est pas moins demeuré la plus puissante œuvre de législation qu’ait eue le monde depuis Justinien, — ce mortel prodigieux excite encore la sagacité et provoque la rêverie chez les esprits les mieux aiguisés. Mort, il exerce encore une vaste tyrannie sur l’intelligence humaine ; et, toutes proportions gardées, politique à part, il ne semble pas que les hommes connaissent un plus attachant sujet de curiosité. Napoléon sert de pierre de touche, pour ainsi dire, aux facultés psychologiques de l’homme. On peut ne pas l’aimer, mais il est impossible de ne pas admirer le déploiement tumultueux de forces qui furent en lui. Comme La Fontaine et Charles Baudelaire en poésie, il a cet extraordinaire bonheur de faire juger d’un homme d’après la manière dont on l’apprécie. Il y a pour lui, tout en respectant l’indépendance de la pensée, tout en permettant aux moindres critiques de se faire jour, un cube duquel il est défendu de s’éloigner sous peine de faire œuvre partiale ou malsaine. Le Consul de marbre, l’Empereur d’airain défient l’insulte, sont au dessus de l’outrage. M. Taine, qui l’a trop facilement oublié, doit savoir à l’heure qu’il est, ce qu’il en coûte à mal prendre l’envergure d’un colosse. Il est vrai que, par l’extrême tension de son procédé, la méthode critique de l’auteur de Thomas Graindorge confine souvent à l’enfantillage. Ce ne sera pas la dernière et l’une des moindres bonnes fortunes de Napoléon d’avoir ainsi annihilé, — à coup sûr pour toujours, — un système esthétique et psychologique que des écrivains, trop friands de nouveautés peut-être, étaient à la veille de considérer comme impeccable.

J’ai dit plus haut : le rêve et l’action. Et de fait, il ne paraît pas, jusqu’à présent toutefois, qu’on puisse refuser à Napoléon le plein exercice de ces deux magnifiques fa-