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Page:Bonaparte - Œuvres littéraires, tome 1, 1888.djvu/24

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adolescence faites d’ombre et de silence. À la rigueur, l’extrême facilité avec laquelle sa mise en lumière fut acceptée de tous ceux qui l’avaient connu indiquerait bien que, jeune officier et même général, Bonaparte aimait à rêver tout haut, comme certain personnage des Mille et une Nuits.

On sait trop qu’il fut l’homme d’action le plus surprenant des temps modernes. Infatigable, nerveux, aimant le travail jusqu’au délire, d’un tempérament physique admirablement équilibré, incapable d’une défaillance quand il entrait dans la période d’exécution du moindre projet, il a tenu, dans l’activité humaine, une place unique. Alexandre, César, Charlemagne, Frédéric ii, tous les grands travailleurs, sont hors d’état d’entrer en lutte avec lui. La récente attaque de M. Taine contre Napoléon a ceci de vraiment curieux qu’elle contient le plus grand éloge qu’on ait jamais fait de l’intelligence et de l’activité des hommes ; et cet éloge, M. Taine ne le retire pas un instant de la personne du seul Napoléon. De telle sorte que les conclusions du brillant académicien sont inexplicables. L’étude, si remarquablement écrite, d’ailleurs, que l’auteur des Origines de la France contemporaine a consacrée à Bonaparte, se trouve, par cela même, frappée d’une radicale caducité. Elle va contre le propre but de l’écrivain ou, si l’on veut, du critique. Dans sa plus brillante partie, elle fait un éloge fougueux du personnage en cause ; aux endroits où elle impatiente le lecteur par sa bizarrerie et son parti pris, elle se transforme en une sorte de réquisitoire tellement inhumain, qu’il déconcerterait le plus implacable de nos procureurs généraux. Qu’en conclure sinon que la perspicacité prêtée à M. Taine a été mise en défaut ? Ce n’est pas un crime, après tout. Homère, qui ne faisait pas de psychologie comparée, mais se contentait simplement d’être le plus grand des poètes, Homère sommeille quelquefois. On trouvera donc légitime que je retienne, dans l’étude de M. Taine, les seuls passages où il semble avoir