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Page:Bonaparte - Œuvres littéraires, tome 1, 1888.djvu/69

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reconnaître la loi du Prophète et de faire construire une mosquée « assez grande pour contenir toute l’armée » ? Il y a bien de la finesse et de l’au-delà dans une pareille promesse. « La joie de l’esprit, a dit Ninon de Lenclos, en marque la force. » Mot profond, que ce mot de femme, et qui vaut peut-être l’admirable précepte de Rabelais : « Pour ce que rire est le propre de l’homme. » Mais à ce moment-là, Bonaparte tenait son sérieux avec la plus grande aisance. Les ulémas, à grands turbans et à longues barbes blanches, étaient là ! Kléber, seul, le jovial et brave Kléber, a pu rire, aux derniers rangs, de son large rire alsacien. Ceci me conduit à parler de l’Histoire des Campagnes d’Égypte et de Syrie, livre d’une couleur descriptive et d’un style admirables, le chef-d’œuvre littéraire de Napoléon, et qui pourrait bien être, pour la France, qui n’a, hélas ! ni Tacite, ni Xénophon, celui du genre historique. Ces pages mesurées, colorées, pittoresques, où l’on trouve un paysage oriental à côté d’un plan de bataille, une description de mosquée non loin d’un résumé de l’histoire des mamelucks, « cette belle et brave milice, » comme il l’appelle, ces pages proclament hautement le génie de Napoléon. Aveugle qui s’obstinerait à ne pas le voir !

Et puis, de ces beaux livres militaires, comme les Campagnes d’Égypte et de Syrie, de ces magnifiques histoires qu’emplissent la lueur des coups d’épée, qui mettent à nu l’âme humaine dans une situation tragique, combien en comptons-nous, même en rassemblant les ressources des trois plus riches littératures du monde, la grecque, la latine et la française ? Dix ou douze à peine, ce qui n’est pas beaucoup pour vingt-deux ou vingt-trois siècles de recueillement. Après l’Anabase de Xénophon, je ne vois chez les Grecs que la Guerre du Péloponèse de Thucydide. Les Romains peuvent montrer l’Histoire d’Alexandre de Quinte-Curce, qu’a mutilée le temps, le Jugurtha de cette crapule de Salluste et les sept premiers livres de la Guerre des Gaules de César, le huitième livre étant communément