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Page:Bonnetain - Charlot s'amuse, 1883.djvu/54

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CHARLOT S’AMUSE

Sa dévotion ne l’avait point quittée pour cela. Elle était à tous les offices, sentant renaître ses premières ardeurs, lorsque le vicaire béat, les yeux mi-clos, consommait le saint sacrifice. À genoux sur les dalles, elle envoyait à la voûte une prière ardente, passionnée, ayant, à contempler le grand Christ maigre, la vague espérance d’un bonheur plus complet qu’elle goûterait plus tard. Tous les quinze jours, elle se confessait à son amant, avouant ses plus secrètes pensées, sans restrictions, et disant à la fois ses dégoûts et ses plaisirs. C’est à ce moment qu’elle prit l’habitude, le matin, de boire un verre d’eau-de-vie avec la vieille servante, lorsque, brisée par une nuit d’immonde luxure, elle descendait dans la cuisine, parlant d’accès de fièvre, pour expliquer ses yeux battus et ses traits tirés. La vieille était une Brestoise, veuve d’un mari naufragé à Terre-Neuve, « en allant à la morue », et, comme la plupart des femmes du peuple à Brest, elle avalait tous les matins un quart ou deux d’eau-de-vie, heureuse de voir la jeune fille trinquer avec elle et lamper d’un seul coup, en vraie fille de matelot, son double boujaron de « raide ».

Trois mois s’écoulèrent, et, un matin, Anne s’aperçut qu’elle était enceinte. L’abbé, en apprenant sa découverte, perdit la tête, puis,