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Page:Bonnetain - Charlot s'amuse, 1883.djvu/63

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CHARLOT S’AMUSE

allumée et son œil gris, luisant d’ivresse, dévisageait tout le monde au tournant de l’escalier. Elle semblait guetter quelqu’un, — Rémy, évidemment, impatiente et craignant à la fois de le voir arriver.

— Un homme celui-là, pensait-elle. Tout de même, il l’avait arrangée proprement : son œil poché en portait les marques. Mais quoi ? c’était un mâle après tout, un vrai. Elle l’aimait, à présent, furieuse, comme une bête. Pourquoi l’avait-il battue ?…

L’ignoble femelle, à ce souvenir, avait comme un sourire d’orgueil. La femme réapparaissait en elle : il ne l’avait battue qu’après !… Après !… Ah ! si elle l’avait connu plus tôt, alors qu’elle était encore jeune et belle !

Et prise de regrets, l’œil humide, en proie à l’émotion facile de l’ivrogne, elle lâchait ses visiteuses et courait se regarder dans le miroir, à l’encoignure de l’alcôve. Pour mieux se voir, elle s’appuyait sur le lit où, rigide, le cadavre reposait enveloppé déjà de son linceul, et le poids de la misérable faisait se dessiner sous le drap blanc les formes anguleuses du corps.

Vieille ! elle était vieille ! pourtant son sang bouillait, comme réchauffé par l’approche hâtive de cet âge critique dont elle avait eu tant peur !