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Page:Boucher de Perthes - Voyage à Aix-Savoie, Turin, Milan, retour par la Suisse.djvu/102

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le lac de Garda où je me suis baigné plus d’une fois et dont les poissons me semblaient si bons, surtout quand je les pêchais moi-même, me rappellent aussi d’autres temps. J’aimerais à m’y baigner encore, mais là n’est pas le but de mon voyage : c’est un champ de bataille que je vais visiter.

Conduit par un guide du pays, et qui fut témoin d’une partie des faits, je vois à peu près tout ce qu’on pouvait voir, c’est-à-dire rien de bien attrayant ni surtout d’insolite. Aussi ne vous y arrêterai-je pas longtemps. La destruction a la même couleur partout, tous les champs de bataille se ressemblent ; j’en ai vu un certain nombre. La saison seule en change l’aspect : la mort sur la neige ou la glace, sur lesquelles le sang conserve toute sa fraîcheur, a pour les yeux un effet bien plus terrible, et je ne m’étonne pas que, nonobstant son expérience, Napoléon, à Iéna, n’ait pu réprimer un mouvement d’horreur.

Ici, comme à Magenta, grâce à la saison, à la fertilité du sol et à une administration active et intelligente, les traces de la guerre ont presque disparu. Les hommes ont beau faire, quelle que soit leur rage de destruction, ces inventions si terribles, la mine, l’artillerie, la vapeur, ne pourront jamais rivaliser avec les armes de la nature. Sans effort et comme pour jouer, une vague va soulever un vaisseau de cent canons et le briser, comme un œuf, sur la pointe de ce rocher ; et la moindre convulsion du Vésuve ou de l’Etna va faire en un jour plus de ruines et de cendres que toutes les armées de l’Europe n’en pourraient produire en dix ans. Si, dans ces mondes qui roulent dans l’espace et dont la dimension est telle,