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Page:Boucher de Perthes - Voyage à Aix-Savoie, Turin, Milan, retour par la Suisse.djvu/106

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pensable en Italie où il sert contre le soleil aussi bien que contre la pluie. Je n’avais pas l’intention de m’arrêter à Varèze, mais ce petit accident me décide. D’ailleurs, je n’étais pas fâché d’y voir le comte Tullio Dandolo, de qui j’avais si souvent entendu parler par mon frère Jules dont il était l’ami.

Me voici donc installé en un vaste hôtel, l’albergo del Europa, ancien palais, comme l’annonce son élégant escalier de pierre où, pour mon début, je manque de me rompre le cou : j’étais dans mon jour de chûtes.

Je change de pantalon, j’envoie raccommoder mon parapluie, et j’écris un mot au comte Dandolo pour lui annoncer ma visite et lui demander son heure. En attendant sa réponse et tandis qu’on prépare mon dîner, je vais voir la ville.

Plusieurs palais, si j’en juge à l’extérieur, doivent être fort beaux. On me dit que j’y serais bien accueilli, mais le temps me manquant et la faim me talonnant, je songe en ce moment plus à la cuisine qu’aux arts. La nécessité de manger est toujours là pour nous arrêter en chemin. Les trois quarts de notre vie appartiennent à la faim ; elle nous prend plus de temps que le sommeil ; enfin, directement ou indirectement, elle influe sur toutes nos pensées et toutes nos actions. Elle fait jusqu’à la conscience : combien de gens, sans que Satan s’en mêlât, ont vendu la leur pour un dîner ?

J’entre dans une église où je remarque une chaire soutenue par les quatre évangélistes, et quelques autres sculptures en bois. J’y vois aussi des fresques et des tableaux qu’on me dit fort beaux, mais que l’obscurité croissante m’empêche de juger.