Aller au contenu

Page:Boucher de Perthes - Voyage à Aix-Savoie, Turin, Milan, retour par la Suisse.djvu/152

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

afin de m’examiner à leur aise, simple curiosité de badauds, car en ce pays il n’y a pas d’espions.

Contre l’ordinaire, personne ne parlait français dans cet hôtel, pas même le maître, superbe homme à moustaches, très-bien mis, de fort bonnes manières, et qu’on prendrait plutôt pour un colonel que pour un hôtelier. Il paraissait d’ailleurs fort mortifié de n’avoir pu me faire mieux dîner la veille : aussi sa carte fut-elle des plus modérées. Il n’en est pas ainsi dans toute la Suisse : on y dérange beaucoup les hôtes en arrivant tard et quand tout est desservi, et ils vous font alors payer, non selon ce qu’ils vous donnent, mais d’après le dérangement que vous leur avez causé en les faisant sortir de leurs habitudes : c’est l’incomodo des Espagnols.

Le temps paraît s’éclaircir. À huit heures un quart, je suis dans le bateau allant à Constance. L’éclaircie ne se soutient pas ; je me réfugie dans la chambre. Je veux faire essuyer un carreau pour voir le lac et ses bords. Le domestique à qui je m’adresse me renvoie à un autre qui prétend que c’est la fumée qui salit les vitres, et il n’y touche pas. Je lui demande une serviette et l’essuie moi-même, et le verre, à son grand ébahissement, reprend toute sa transparence.

Parmi les personnes qui m’entourent, je remarque un personnage portant un chapeau tyrolien de couleur verte, orné d’une plume et d’une cocarde faite aussi de plume. Sa figure pâle et à moustaches, indiquant un homme de trente-six à quarante ans, a quelque chose de sympathique ; aussi faisons-nous bientôt connaissance. Un échange de cartes m’apprend que c’est le comte Anglès, fils de l’ancien préfet de ce nom. Habile