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Page:Boucher de Perthes - Voyage à Aix-Savoie, Turin, Milan, retour par la Suisse.djvu/64

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clair de lune : sous cette lueur, la neige brille sur les cimes et nous présente d’admirables effets de montagne. Je regrettais qu’un peintre paysagiste ne fût pas avec nous. Un village que nous aperçûmes avec son église est placé de la plus étrange manière ; on en distingue tous les détails, et pourtant tout y semble en miniature : on prendrait ses maisons pour des jouets sortis d’une boîte.

Nous restons en extase devant un torrent ; son écume, son murmure, ses bonds désordonnés ont, au clair de la lune, quelque chose de féerique.

Mon Bordelais est dans l’enthousiasme, il ne songe plus à son vin. La dame babille. Personne ne pense à avoir peur, cependant le précipice est là : on comprend qu’on est à quelques pouces de l’abîme et qu’il suffit d’une roue qui se brise ou d’une pierre un peu trop grosse qui la soulève pour y lancer la voiture. Notre convoi n’est plus que de six, dont les lumières font, au milieu de cette solitude, un étrange effet. Un ressort casse à la nôtre sans autre accident. Nous n’en craignons pas moins d’être obligés d’attendre le reste de la nuit. Heureusement nous étions à l’entrée d’un village ; on envoie chercher serrurier et charpentier, mais personne n’arrive. Enfin on vient nous dire de ne pas nous impatienter, qu’ils achèvent leur bouteille et qu’ils ne tarderont pas.

Nous nous décidons à quitter la voiture et à aller souper : c’est une occupation comme une autre. Nous voici donc au cabaret, l’hôtel du lieu : — « Entrez, signori, nous dit l’hôtesse, vous êtes servis. » — Il n’y a sur la table qu’un pain et une cruche. Je soupe avec une croûte et un verre de vin qui n’était pas du