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Page:Boucherville - Une de perdue, deux de trouvées, Tome 2, 1874.djvu/319

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UNE DE PERDUE

et toute absence de cette étiquette bridée qui, tout en laissant l’odorat savourer le fumet des viandes, empêche souvent l’estomac de faire raison de l’envieuse estime qu’il porte au contenu des plats.

Pendant le dîner, la conversation tomba naturellement sur les événements de la journée. Les nouvelles les plus diverses comme les plus exagérées s’étàient répandues dans la ville. Les uns assuraient qu’un grand nombre de patriotes étaient encore cachés dans la montagne ; qu’il y avait eu un combat entre la cavalerie et les patriotes, dont quelques-uns avaient été tués et plusieurs blessés.

Les vins de Xerès et de Champagne avaient échauffé les esprits, et, au dessert, chacun exprimait bruyamment ses opinions sur la situation.

— La rébellion a été étouffée assez facilement au sud du St. Laurent, disaient les uns ; mais elle prend des proportions formidables dans le Nord : on dit que dans le comté des Deux-Montagnes seul, il n’y a pas moins de deux mille patriotes sous les armes.

— Il n’y a pas assez de troupes dans Montréal pour les réduire, disaient d’autres, et le général Colborne hésitera avant d’aller les attaquer.

— Les Canadiens-français sont tous des lâches, dit un officier ; dix mille tuques bleues ne tiendraient pas devant un régiment de soldats.

Cette insulte, si gratuitement et si injustement lancée, causa une vive sensation ; aussitôt un des convives, qui était assis à table en face de St. Luc, se leva. C’était un homme de moyenne taille, les cheveux noirs, brun de figure, le front haut, l’œil fier ; il portait l’uniforme de capitaine des carabiniers.