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Page:Boufflers - Journal inédit du second séjour au Sénégal 1786-1787.djvu/101

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et qu’une partie de cette emplette est destinée pour nos pressants besoins de Gorée, je m’embarquerai sur ce bâtiment-là, d’autant plus qu’on le dit charmant et que pour la première fois de ma vie je veux être bien logé à la mer. Il y aurait encore une autre raison, qui n’est pas bien décisive pour mon âge ni pour l’état où je me trouve : c’est que le gros capitaine, pour ne manquer de rien, mène, avec lui, une jeune personne charmante ; il l’a amenée avant-hier dîner chez moi ; elle a exactement le visage de ta fille et la taille de notre sœur Buller ; elle a l’air aussi décent que si, au lieu d’être une coureuse, elle était une vierge et qu’au lieu d’être avec un gros crapuleux, elle voyageât avec un père respectable. Et puis fiez-vous à la décence, aux femmes et surtout aux Anglaises ! Dis cela de ma part à notre bonne Buller et surtout gronde-la bien de ne m’avoir point répondu, car je lui avais écrit non seulement pour elle, mais pour sa meute de petits bassets, qui avait pris le change et qui aboyait contre moi. Mais sans doute la lettre ou la réponse ont éprouvé quelque fortune de guerre. Adieu, femme bien-aimée, je me porte mieux aujourd’hui et mon imagination n’est pas la seule portion de moi sur laquelle tu règnes.


Ce 3. — Imagine, mon enfant, que voilà le soixantième ballot de mes pauvres effets qu’on embarque depuis avant-hier ; il est vrai que dans tout cela il n’y a ni or ni bijoux, mais il y a des livres, des instruments de physique, des outils de toutes sortes de métiers. Enfin, c’est cette richesse pauvre que tu me connais de tout temps et tu sais bien que je ne suis pas destiné à en avoir d’autre. N’est-ce pas assez de toi pour être bien heureux ?