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Page:Boufflers - Journal inédit du second séjour au Sénégal 1786-1787.djvu/11

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Ce lundi. — Toujours de même et toujours pire, ma chère fille ; voilà ce qui m’arrivera toujours en te quittant. Ma voiture sera prête demain, et j’espère partir pour Lorient, non pas que le vent soit favorable ni que mes affaires soient pressantes, mais c’est que je suis impatient de quitter la ville et les faubourgs et le territoire de Nantes, car je l’ai pris dans une telle haine que je me tiens à quatre pour n’en pas faire un feu de joie. Tout m’y déplaît, jusqu’aux politesses que j’y reçois, jusqu’aux gens d’esprit que j’y vois. Je crois que cela tient à un mal de tête qui ne me quitte point et qui me rend tout insupportable, excepté de penser à toi, et de me retracer à moi-même tout ce que tu as, tout ce que tu es, et tout ce que tu fais de charmant.


Ce 5. — Je voulais partir, mais mon monde n’est point prêt. J’ai trouvé ici un petit peintre que j’ai connu, il y a six ou sept ans, à Paris ; il a été à Rome depuis, et il en est revenu avec un talent et une hardiesse qui m’ont étonné. Il a fait ce matin mon portrait en une heure, en pastel, toile de dix, ressemblant comme un diable. Il te parviendra et tu l’aimeras à cause de la vérité ; tu me trouveras triste, mais tu penseras que tu me vois absent.


Ce 6. — Enfin, je suis parti, mais avec quelle peine, avec quels embarras, avec quelle ruine ! Tu n’imagines pas ce que mon ennui me coûte, tandis que mon bonheur serait à si bon marché ; mais je m’étais tant promis de n’en plus parler ! Pourquoi est-ce que j’en parle toujours ? C’est que tu ne sors ni de mon esprit ni de mon cœur. Je t’écris de la Roche-Bernard ; c’est une terre de mon beau-frère