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Page:Boufflers - Journal inédit du second séjour au Sénégal 1786-1787.djvu/128

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dans des pièces d’un plus fort calibre et je les ai fait tirer sur la mer à l’entrée de la nuit ; ils ont décrit leur parabole comme deux comètes, laissant derrière eux des traces de feu ; ils sont entrés tout enflammés dans les flots comme deux soleils couchants et ils en sont ressortis à plusieurs reprises comme des soleils levants ; en sorte que je puis me flatter d’avoir créé des astres malfaisants pour en faire les ministres de mon courroux. Mais il est temps de me livrer à des idées plus douces, car les charmes de la vengeance sont trop différents des tiens pour avoir un empire durable sur l’esprit de ton bonhomme de mari. Adieu, joli amour, je t’aime comme si je n’étais pas en Afrique.


Ce 9. — Je m’aperçois que je t’ai écrit hier une lettre de trois pages. Je veux réparer cela en t’en écrivant aujourd’hui une de trois lignes, qui pourraient se réduire à deux mots.


Ce 10. — Je pense et je repense au plus dangereux de mes rivaux ; c’est M. le comte Elzéar de Sabran et je ne trouve qu’une expression pour bien rendre ce que je pense de lui : c’est qu’il est vraiment ton fils. Je crois même que tu es son père et sa mère, car il n’y a que toi qui aies pu lui donner aussi peu de corps et autant d’esprit. Je sens une véritable consolation en pensant à toute celle que tu reçois de ces deux petites brebis égarées, qui sont enfin rentrées au bercail après avoir si longtemps suivi le loup berger. Pense à tous les risques que tu as courus, chère enfant, pense à la manière presque miraculeuse dont tu en as été tirée et tu reconnaîtras que le ciel t’aime comme un auteur aime son