Aller au contenu

Page:Boufflers - Journal inédit du second séjour au Sénégal 1786-1787.djvu/133

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

je n’ai point encore dormi et je me sens un peu malade ; mais ne t’inquiète pas : selon toute apparence le bulletin de demain sera meilleur.


Ce 16. — Il est mort, ce pauvre malheureux, après avoir souffert des supplices inouïs. C’est une triste condition que celle des hommes en général ; mais c’est un horrible mystère que la condition de quelques hommes en particulier. Qu’ont-ils fait au ciel et à la terre pour être condamnés à toujours souffrir ? Le monde est-il, comme quelques-uns l’ont prétendu, un lieu de punition, un vestibule expiatoire, ou n’y a-t-il rien du tout hors de ce lieu et de cette vie, comme tant de bons esprits l’ont pensé ? Cependant d’où seraient descendues ces hautes idées de justice et de perfection, si étrangères à la faiblesse humaine ? Comment l’homme a-t-il soupçonné qu’il avait une âme ? Ce soupçon-là n’est point sans quelque fondement et ce sentiment, qui survit aux choses ou qui les précède, n’appartient point à une masse organisée, qui n’est disposée que pour les sensations du moment. Les organes même, d’après leur nature et le sens littéral du mot, ne sont que des instruments et supposent autre chose qui s’en sert. Il y a bien des points qui mériteraient d’être éclaircis, si la vie humaine était plus longue et si la vue humaine était moins courte. Mais je serais en cela aussi fou que si je voulais lever pendant la nuit la carte de tout le continent d’Afrique avec une petite chandelle à la main. La nuit, c’est la vie : le continent ignoré, c’est la métaphysique, et la petite chandelle, c’est la raison. Mais, mon enfant, si cette petite chandelle qui me sert si peu se réunit jamais à cette douce et brillante lumière que j’aime tant à voir en toi, nous verrons