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Page:Boufflers - Journal inédit du second séjour au Sénégal 1786-1787.djvu/14

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l’autre, il faut changer de plan. Jusqu’à présent je t’approuve, et je t’admire dans tout ce que tu as fait et dit ; mais je te blâme de tes inquiétudes, et du poids que tu donnes à des rapports dans lesquels je vois plus de malice que de sincérité. Le public finit toujours par avoir raison ; ainsi il finira par te la donner. Quant au voyageur, sois sûre que la reine te le ramènerait, s’il voulait s’éloigner de toi ; mais il ne le voudra point ; et qu’y a-t-il de commun entre les deux affaires ? Au contraire, cette ancienne intimité entre les gouverneurs de vos deux enfants, le mécontentement qu’on en aura eu des deux côtés est plutôt un lien qu’un obstacle : il faut surtout voir et montrer les choses sous ce point de vue-là. Mais à quoi pensé-je de t’écrire là-dessus, comme si l’Océan n’était pas tout entier entre ma lettre et son adresse ; peut-être, hélas ! que tout sera décidé quand cela te parviendra. Mais j’ai bonne espérance, surtout celle de te revoir, sans quoi ce ne serait pas la peine de vivre. Adieu.


Ce 24. — Le vent se soutient et même il se renforce ; mais les baromètres baissent et nous annoncent des coups de vents contraires ; profitons de ce que nous avons, sans trop d’inquiétude de le perdre, sans trop de confiance de le garder. C’est du vent que je parle, ma fille, et non pas de toi, que je sais bien que je ne perdrai qu’en mourant ; encore ne puis-je point me détacher de l’idée d’une autre existence pour l’ajouter à la durée de notre amour ; car je sens que la dose est trop forte pour les bornes de la vie. Voilà déjà que le vent fait mine de tourner ; on suppose qu’il doit y avoir beaucoup de neige en France. Tous nos passagers sont malades ;