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Page:Boufflers - Journal inédit du second séjour au Sénégal 1786-1787.djvu/186

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Ce 25. — Nous sommes arrivés hier contre mon attente et descendus aujourd’hui. J’ai commencé par envoyer mon aide de camp complimenter le gouverneur portugais ; il a trouvé un pauvre moribond en robe de chambre, qui l’a reçu très poliment et qui lui a dit que malgré toute sa joie de me voir, il me conseillait de ne pas rester longtemps et surtout de ne point coucher à terre, parce qu’il règne encore une mortalité affreuse à laquelle il croit lui-même devoir bientôt succomber, que tous ses soldats sont morts ou mourants et que de 25 Portugais arrivés cette année il n’en reste que deux. Tu crois bien, ma chère enfant, que je n’allongerai point ma visite et que je partirai demain, afin de ne point voir notre réunion retardée d’une éternité.


Ce 26. — Je l’ai vu hier et j’ai dîné chez lui aujourd’hui. Ce pauvre homme m’a touché jusqu’au fond de l’âme ; il est pâle et rouge, maigre et bouffi, il rassemble tous les mauvais symptômes, toutes ses paroles sont des gémissements et chaque respiration a l’air d’un dernier soupir. Il a cependant quelque esprit, mais presque entièrement obscurci par un noir pressentiment. Je lui ai offert mes services auprès de son ambassadeur en France ou du nôtre en Portugal ; il m’a remercié, les larmes aux yeux, et je suis parti de la chaumière qui lui sert de palais, après lui avoir laissé une caisse de vin de Bordeaux, la moitié de ma pharmacie et un baril de poudre. Il a répondu à mon présent par quatre dindons. Voilà comment en usent les gouverneurs français et portugais et je serai bien aise de te voir bientôt pour savoir en faveur de qui tu te décides.