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Page:Boufflers - Journal inédit du second séjour au Sénégal 1786-1787.djvu/34

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et que cependant il est nécessaire. Su tu étais dans ton gouvernement comme tu devrais y être, je ne balancerais pas ; mais je serais trop heureux, surtout si tu n’étais pas trop malheureuse. Adieu, chère femme ; sois sûre au moins d’avoir un bon mari.


Ce 15. — Nous l’avons vu et nous l’avons passé. La mer, qui ce matin paraissait douce comme un mouton, a tout d’un coup pris une autre physionomie, et mon pauvre monde, qui m’a très bien reconnu à mes cinq coups de canon, n’a seulement pas osé compromettre un nègre en pirogue pour savoir de mes nouvelles. J’arrive en ce moment[1] et je n’ai que le temps de baiser mille fois ton joli visage, pour donner à présent mon attention à mille visages différents.


Ce 16. — Le pauvre Villeneuve[2] va partir presque seul pour se rendre à l’île Saint-Louis à travers des déserts affreux. Plus j’admire son zèle et son mérite, et plus je tremble pour lui, d’autant plus qu’un de nos courriers a été insulté dernièrement ; mais il était sans armes, et Villeneuve aura du moins trois blancs et trois noirs armés, sans compter peut-être des habitants d’ici ou d’un village voisin qui se joindront à lui. Adieu, enfant chérie ; sois sûre que tu n’es que trop aimée pour le bonheur de ton pauvre mari. Adieu, je suis occupé de grandes affaires et fort importuné de petites ; c’est comme si j’étais mangé des mouches à la chasse de l’éléphant. Adieu ; je te baise comme je te baiserai après dix

  1. À Gorée.
  2. C’était l’aide de camp de Boufflers, qui, venu avec lui dans son premier voyage, allait se distinguer dans celui-ci.