Aller au contenu

Page:Boufflers - Journal inédit du second séjour au Sénégal 1786-1787.djvu/40

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dimensions, mais on me promet que cela reviendra, et cet œil-là même conserve dans son obscurité l’espérance de te revoir et de te dire qu’il t’aime.


Ce 25. — Je reviens avec un grand mal de tête d’une longue promenade dans des îles désertes à quatre lieues d’ici où j’allais chercher quelques coquilles pour ton cabinet. Mais, comme beaucoup d’officiers de marine et autres m’ont demandé à venir avec moi, nous n’avons eu ni le temps ni le loisir de rien et mon projet a manqué comme tant d’autres, car si la mer est pleine de pièces perdues, la terre est couverte de projets manqués. Je défie même que, du plus petit au plus grand, on puisse m’en citer un qui ait été rempli dans toute son étendue, à moins que ce vieux dieu de hasard n’y ait mis la main. L’île que j’ai parcourue est à peu près grande comme les jardins d’Anizy ; elle s’élève dans sa plus grande partie à quatre-vingts pieds au-dessus du niveau de la mer. Ses bords sont tout hérissés de rochers bizarres, contre lesquels les flots viennent se briser avec des mugissements affreux, élevant leur écume à plus de cinquante pieds de haut. On ne peut y aborder qu’en pirogue, mais cela n’en vaut que mieux, car les nègres, à l’approche des rochers, se mettent à l’eau et traînent la pirogue jusqu’à terre, en sorte qu’on descend à pied sec. La terre paraît excellente et, d’après l’avis de plusieurs officiers très instruits, mon dessein est d’y faire faire des plantations de café. J’y ai trouvé de bonne herbe, de beaux arbres, entre autres quatre formant entre eux le carré et le tronc de chacun est de cinquante pieds de tour. J’étais bien tenté de te les envoyer par la première occasion mais comme le bois n’en est bon à rien et