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Page:Boufflers - Journal inédit du second séjour au Sénégal 1786-1787.djvu/55

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de ma route. J’ai les meilleures façons que je puis avec ces bonnes gens, d’abord parce que c’est mon usage, et puis parce qu’il faut me concilier tous les chefs des villages qui sont à portée du chemin. Je voudrais être aimé en Afrique comme toi en Allemagne. Mais comment faire pour faire comme toi ?


Le 23 à Gorée. — Me voici encore une fois dans ma petite Ithaque ; il ne me manque que d’y revoir ma petite Pénélope. Je sens que tout fatigué que je suis, je me conduirais au moins aussi galamment qu’Ulysse : il fut rajeuni par Minerve et moi je le serais par ma femme, et sûrement elle est plus faite pour cela que toutes les Minerves du monde.


Ce 24. — Le petit vilain vaisseau qui n’osait point passer la barre à mon départ du Sénégal l’a passée le lendemain. Il est ici depuis hier et j’ai déjà reçu ce cher portrait de tout ce que j’aime. Il vient me dire ici ce qu’il me disait au Sénégal : Redeat, et il le dit si bien qu’en l’écoutant mes yeux se remplissent de larmes. Oui, mon bon enfant, il reviendra ce mari que tu aimes, malgré la vieillesse, malgré la laideur, malgré l’absence. Voilà de vilains défauts, mais l’amour rajeunit, embellit et rapproche tout, et, toute jolie que tu es, je suis sûr de te plaire autant que si j’étais aussi joli que toi.


Ce 25. — Mais quand aurais-je donc de tes nouvelles ? Voilà trois mois passés que je t’ai quittée et depuis deux mois et quelques jours que j’ai quitté la France, il n’est pas arrivé un navire ; j’en attends quatre qui doivent me porter pour la valeur de trente mille francs et je commence à en être inquiet. Mais